
« Deux mains. Il me faut désormais mes deux mains pour compter le nombre de concerts de Muse auxquels j’ai assisté depuis maintenant 10 ans.
En dix ans, tout a changé avec Muse, sa musique, ses salles, son public. Et en 10 ans et tant de concerts, j’en deviens bien sûr plus exigeant avec eux. Certes, il apparait facile de surfer sur la ritournelle « c’était mieux avant », mais malgré tout, oui, c’était quand même mieux avant. Leur musique était moins consensuelle, moins policée, plus brute et intense. Accompagnant naturellement cette évolution musicale, un public plus large, plus varié, qui va maintenant de 10 à 60 ans, et qui avait répondu présent : remplir deux soirs de suite le Stade de France, ça vous place tout de suite un groupe dans le gotha mondial ! Et ce n’est pas le premier match de notre splendide (sic) équipe de France de football à la Coupe du Monde ce même soir qui allait décourager le moindre des fans du groupe, anciens ou nouveaux…
Donc ce soir-là, direction Stade de France, sous une température estivale et un beau soleil de fin journée. Quelques minutes après notre arrivée, voici Editors qui rentrent en scène et qui ont la difficile tâche de faire monter en pression les dizaines de milliers de personnes déjà présentes. Que dire de
Editors ? La voix phénoménale et superbe de Tom Smith résonne avec force dans le stade, une voix encore plus impressionnante que sur les enregistrements studio. Mais ce mélange de Joy Division et Depeche Mode ne prend pas vraiment avec le public présent. Et avec moi non plus. Même constat que lorsque j’avais essayé de me frotter à leur album, pas d’émotion musicale, pas d’emballement. Quarante-cinq minutes de show sans pouvoir embraser le public, seule la note finale est plus emballante, avec leur single Papillon. Définitivement, leur univers musical plutôt sombre et oppressant ne collait pas vraiment ce soir avec cette douce et chaude atmosphère de fin de journée estivale, ce public heureux et ayant à cœur d’en découdre sur les morceaux « à hymnes » de
Muse…

Trente minutes de pause plus tard, la foule pouvait enfin gronder, la sono d’ambiance s’éteignait, et un semblant de manifestation semblait prendre possession de la scène : des dizaines de personnes l’arpentaient, en arborant des drapeaux, non reconnaissables à première vue. Autour de moi, certains phosphoraient sur un détournement du concert par la CGT. Mais a-t-on déjà vu la CGT défiler avec des slogans anglophones genre « We will be victorious » ou « They will not control us » (quoique, au final, ça pourrait être une idée et dé-ringardiser l’ensemble…, mais c’est un autre débat !).
Oui bien sûr, ces slogans et cette mise en scène étaient censés matérialiser une image de « Resistance », fil conducteur du dernier album éponyme de Muse, et du premier single Uprising qui ouvrait ce concert. En même temps que les figurants à drapeaux disparaissaient, les trois membres du groupe s’étaient installés sur scène, tout de blanc vêtus, Matthew Bellamy engageant les premières notes d’Uprising sur sa nouvelle guitare à deux manches, prototype créé sur mesure pour lui à l’occasion de cette tournée.
Le show fit évidemment une large place au dernier album, des morceaux aux influences diverses, un peu de Depeche Mode sur Undisclosed Desires, un peu de Queen sur United States of Eurasia, Guiding Light ou I Belong to You, voire sur leur dernier morceau créé pour la BO de Twilight II, Neutron Star Collision. Et bien sûr les influences classiques, comme sur Exogenesis, même si la configuration « concert gigantesque » ne permet pas la présence d’instruments acoustiques et classiques… donc bienvenue dans le royaume des synthétiseurs ! Heureusement, Unnatural Selection gardait, lui, un son plus proche des premiers albums, avec des rifs de guitare semblables.

Les singles du précédent album, Starlight, Supermassive Black Holes, Take a Bow étaient eux aussi de la partie. Et le large, très large public appréciait, reprenait en chœur ces morceaux bien connus, passés en boucle sur les radios au cours des 4 dernières années. 100.000 personnes chantant en chœur, ça sonne bien, et en plus ça a le mérite de compenser la qualité horrible du son dans ce stade.

Malgré tout, difficile de m’enthousiasmer : même si le dernier album m’est maintenant plutôt agréable après plusieurs écoutes, tous ces morceaux sont bien loin de la puissance dégagée par les 2 ou 3 premiers albums. Mais heureusement, cette intensité vint finalement pointer son nez dans cette soirée. L’expérience fut physique et électrique, dans cette fosse, devant la scène, dès que les premières notes de New Born résonnèrent, puis lorsque l’emballement de Hysteria déchira le stade. Lorsque Stockholm Syndrome enflamma les gros nuages noirs qui s’amoncelaient progressivement au-dessus du stade. Et lorsqu’au bout du deuxième rappel, alors qu’une fine pluie commençait à tomber sur nous, Plug in Baby déclencha la foudre dans la foule, cette foule si compacte qui se mit alors à sauter, hurler, sauter, hurler et sauter encore …
Muse, le Muse du début des années 2000, se vit physiquement, et rien que pour ça, ce concert restera comme un grand moment : encore une fois, j’avais eu ma dose, ma dose d’émotions, ma dose d’adrénaline…

D’un point de vue plus rationnel, moins émotionnel, beaucoup de choses furent décevantes, le son catastrophique – déjà mentionné –, le peu d’efforts du groupe pour créer une vraie connivence avec son public, et même la scène et les « effets spéciaux », très proches de ce qu’ils avaient présenté il y a 2 ans au Parc des Princes, mais en moins bien cette année ! Dans ce même lieu il y a un an, U2 avait fait beaucoup mieux pour tirer le maximum de cette arène… Muse a encore une vraie marge de progression dans la famille « Concerts Gigantesques ».
Je ne suis pas un fan de cette course au gigantisme, ça tue l’émotion, ou au moins ça la rabote… Heureusement, les rappels donnèrent l’impression d’avoir été construits autour de cette recherche de l’émotion : le sublime Unintended lors du premier rappel, une reprise de l’Homme à l’Harmonica d’Ennio Moricone dans le second (une première originale en ce qui me concerne !), les déjà mentionnés Stockholm Syndrome et Plug in Baby pour l’adrénaline, et le final sur le chevaleresque Knights of Cydonia, 100.000 voix pouvant exulter ensemble sur les rimes incessantes : « No-one ‘s gonna take me alive… Time has come to make things right… You and I must fight for our Rights… You and I must fight to Survive… ».
Après deux heures de show, entre l’émotion et la raison, pas de choix à faire au final, ce sera donc une déception raisonnée que ce concert, mais aussi une émotion toujours forte, intacte, quasi-incandescente au détour de leurs plus grands morceaux. Et puisque la musique est avant tout une histoire d’émotions, mon petit doigt me dit qu’il me faudra un jour une troisième main pour continuer à compter les rendez-vous avec ma Muse… »