Première Partie : The Lurid Yellow Mist
« "Ceux qui veulent tout connaitre sur le monde, écoutez ! Vous allez recevoir la connaissance". Qui d'autre que Nick Cave peut présenter ainsi l'une de ses chansons sans que cela prête à rire (même si l'on nage évidemment en pleine auto-dérision) ou que cela soit ridicule ? Parce que la chanson, c'est "We Call Upon the Author to Explain", l'un des textes les plus puissants de "Dig Lazarus Dig", et accessoirement l'un ses sommets du concert de ce soir. Où l'on est en train d'apostropher le Créateur - qui bien entendu, n'existe pas - pour lui demander des comptes...
Nick Cave est l'un des 2 ou 3 artistes qui ont défini mes goûts musicaux (après Bowie et, disons Peter Hammill), même si je ne suis ni fan de blues ni particulièrement hanté par les thèmes favoris de ce grand crooner déchiré : Dieu, le Diable et tout ce qu'il y a entre, en termes de meurtres, de souffrances et de rédemption. Alors, quand je me rends compte que cette soirée est libre dans mon agenda, je décide de manière impromptue de rejoindre Vincent au Casino de Paris, et d'essayer d'entrer avec une place négociée si possible à un prix raisonnable au marché noir (le concert est complet depuis belle lurette, et j'avais - incroyable négligence - loupé la fenêtre de tir !).
Quand j'arrive, vers 19 h 15, les vendeurs de billets paraissent un peu désespérés par le manque d'affluence, et je trouve un billet à 60 Euros, soit 10 seulement de plus que le tarif officiel. No sweat ! A l'intérieur, Vincent m'a gardé une place royale au premier rang, plein centre, entre deux copains à lui apparemment aussi fans du grand Nick que moi... La première partie joue depuis une dizaine de minutes, et c'est assez hallucinant d'entendre ce trio bizarre (un chanteur / guitariste acoustique allumé sous un panama posé de travers, une xylophoniste recueillie et un bassiste basané un peu déplacé) diffuser (plus que jouer) une sorte de musique flottante, à un niveau sonore excessivement bas : imaginez un Prefab Sprout période "Swoon" qui aurait consommé trop de substances toxiques et dont la musique aurait tourné horriblement mal. Quelque part, on sent que cela a l'ambition d'être drôle et beau, et n'est guère que ridicule et insignifiant. Gardons le souvenir de titres amusants : "Let's Kill God Again", ou "My Chtick Weighs a Ton" - qui font quand même craindre très fort pour la santé mentale du leader de The Lurid Yellow Mist. Rions ensemble et passons !
Voilà près de 15 ans que je n'ai pas vu Nick Cave and the Bad Seeds sur scène - même si je n'ai pas, depuis, manqué un seul de leurs albums, qui ont quasi systématiquement figuré dans mon Top 10 de leur année de parition... -, et je passe les premières minutes du concert à me familiariser à nouveau avec eux : un nouveau look pour Cave (la moustache, un peu ridicule, mais qui le rajeunit) et Warren Ellis (en sosie de Raspoutine : hallucinant !), un nouveau son pour les Bad Seeds - qui n'ont plus cette superbe amplitude qui conférait un souffle presque "cinématographique" aux grandes compositions de Nick Cave, mais jouent maintenant avec une approximation brutale à la fois surprenante et revigorante -, et en général un nouvel esprit, immédiatement perceptible dès les premières mesures du premier morceau ("Night of the Lotus Eaters") : on n'est plus à l'époque de la transe, de l'hystérie, de la théâtralisation de chaque chanson comme une épopée dantesque et torturée, quand la musique de Nick Cave tétanisait par sa beauté et sa fureur... Non à 50 ans, Nick Cave, à la fois apaisé (à cet âge-là, soit on a vaincu ses démons, soit on leur a succombé et on en est mort !) et pugnace, joue du ROCK'N'ROLL (enfin, sa définition du Rock'n'Roll, avec textes métaphysiques et grincements d'instruments torturés) et est un GRAND show man. Suivant son esprit d'esprit, le spectateur trouvera cela décevant - plus vraiment de ces instants fourdoyants de rage ou de splendeur - ou réconfortant : car Nick Cave and the Bad Seeds "envoient la purée" ce soir. Le son est dantesque, fort pour une salle comme le Casino de Paris, principalement constitué par les deux (2 !) batteries et la basse (boostée par un énorme caisson placé dans la fosse à 50 cms de mes oreilles, mama mia !), sur lequel brodent occasionnellement les orgues grinçants et désaccordés (Cave et Harvey s'amusent comme des petits fous avec les sons affreux que Cave tire de son clavier, parfois à tord et à travers, surprenant les autres musiciens) et les guitares et violons cacochymes mais furieux.
Nick Cave est d'humeur très badine, menant un dialogue constant avec la foule - tous des fans !
quel public ! -, à l'écoute des commentaires et demandes de tous, y répondant avec son sens de l'humour froid habituel (à un spectateur qui lui demande je ne sais plus quelle chanson, il répond "qu'ils n'ont plus assez de neurones pour la jouer, celle-là" ; et quand un autre lui fait une autre proposition, il rétorque "Pour celle-là, ça va, mais on ne va pas la jouer quand même !")... La set list est à la fois structurée - en gros, la quasi intégralité de l'album "Dig Lazarus Dig" en y intercalant une poignée de classiques de l'incroyable répertoire des Bad Seeds depuis 24 ans..) et très ouverte : plus le concert avance, plus Nick Cave commence à choisir suivant son inspiration le prochain morceau, et la décision, fort peu démocratique (seuls Harvey et Ellis sont parfois consultés, d'ailleurs eux deux seuls sont sur le devant de la scène du Casino, un peu étroite pour les 7 membres du groupe), est ensuite rapidement diffusée à l'arrière de la scène : cette liberté donne des résultats surprenants - le premier rappel est quasiment entièrement consacré à des titres peu joués sur scène (deux extraits de "Your Funeral... My Trial" dont une "Hard On For Love" épileptique, et un "Far from Me" de l'époque triste de "Boatman's Call", qui constituera la seule ballade poignante de la soirée...) - mais est finalement le meilleur gage possible du fait que nous avons devant nous une troupe de musiciens qui s'amusent, et un vrai LIVE, chaotique à l'occasion (Nick Cave oublie certains passages de ses interminables textes, et se réfèrent à ses anti-sèches géantes placées sur une table devant lui), mais toujours généreux.
Les plus beaux moments de la soirée (outre "... Author") seront, pour moi, les deux passages de furie bruitiste de "Red Right Hand" et "Stagger Lee" en second rappel (je sais, je me contredis, mais c'est vrai que c'est bon de retrouver en de brefs instants la splendeur passée...), le "stomp" jouissif de "Get Ready for Love", depouillé de ses tensions gospel, et l'orage éternellement funèbre de "Tupelo". Et non, ils n'ont pas joué "The Mercy Seat", mais ce sera peut-être pour la prochaine fois, à l'Olympia, dans quelques semaines seulement...
"Nice, Dr. Cave", lance à un moment du concert un spectateur ravi, et on voit alors le grand Nick, littéralement enchanté par cette apostrophe, la reprendre de sa voix profonde de précheur illuminé, la savourer, faire rouler les mots dans sa bouche avec gourmandise. Que ce "Nice, Dr. Cave" reste donc le meilleur qualificatif pour ce beau concert, libre et violent. 50 ans, toutes ses dents ! »
Nick Cave est l'un des 2 ou 3 artistes qui ont défini mes goûts musicaux (après Bowie et, disons Peter Hammill), même si je ne suis ni fan de blues ni particulièrement hanté par les thèmes favoris de ce grand crooner déchiré : Dieu, le Diable et tout ce qu'il y a entre, en termes de meurtres, de souffrances et de rédemption. Alors, quand je me rends compte que cette soirée est libre dans mon agenda, je décide de manière impromptue de rejoindre Vincent au Casino de Paris, et d'essayer d'entrer avec une place négociée si possible à un prix raisonnable au marché noir (le concert est complet depuis belle lurette, et j'avais - incroyable négligence - loupé la fenêtre de tir !).
Quand j'arrive, vers 19 h 15, les vendeurs de billets paraissent un peu désespérés par le manque d'affluence, et je trouve un billet à 60 Euros, soit 10 seulement de plus que le tarif officiel. No sweat ! A l'intérieur, Vincent m'a gardé une place royale au premier rang, plein centre, entre deux copains à lui apparemment aussi fans du grand Nick que moi... La première partie joue depuis une dizaine de minutes, et c'est assez hallucinant d'entendre ce trio bizarre (un chanteur / guitariste acoustique allumé sous un panama posé de travers, une xylophoniste recueillie et un bassiste basané un peu déplacé) diffuser (plus que jouer) une sorte de musique flottante, à un niveau sonore excessivement bas : imaginez un Prefab Sprout période "Swoon" qui aurait consommé trop de substances toxiques et dont la musique aurait tourné horriblement mal. Quelque part, on sent que cela a l'ambition d'être drôle et beau, et n'est guère que ridicule et insignifiant. Gardons le souvenir de titres amusants : "Let's Kill God Again", ou "My Chtick Weighs a Ton" - qui font quand même craindre très fort pour la santé mentale du leader de The Lurid Yellow Mist. Rions ensemble et passons !
Voilà près de 15 ans que je n'ai pas vu Nick Cave and the Bad Seeds sur scène - même si je n'ai pas, depuis, manqué un seul de leurs albums, qui ont quasi systématiquement figuré dans mon Top 10 de leur année de parition... -, et je passe les premières minutes du concert à me familiariser à nouveau avec eux : un nouveau look pour Cave (la moustache, un peu ridicule, mais qui le rajeunit) et Warren Ellis (en sosie de Raspoutine : hallucinant !), un nouveau son pour les Bad Seeds - qui n'ont plus cette superbe amplitude qui conférait un souffle presque "cinématographique" aux grandes compositions de Nick Cave, mais jouent maintenant avec une approximation brutale à la fois surprenante et revigorante -, et en général un nouvel esprit, immédiatement perceptible dès les premières mesures du premier morceau ("Night of the Lotus Eaters") : on n'est plus à l'époque de la transe, de l'hystérie, de la théâtralisation de chaque chanson comme une épopée dantesque et torturée, quand la musique de Nick Cave tétanisait par sa beauté et sa fureur... Non à 50 ans, Nick Cave, à la fois apaisé (à cet âge-là, soit on a vaincu ses démons, soit on leur a succombé et on en est mort !) et pugnace, joue du ROCK'N'ROLL (enfin, sa définition du Rock'n'Roll, avec textes métaphysiques et grincements d'instruments torturés) et est un GRAND show man. Suivant son esprit d'esprit, le spectateur trouvera cela décevant - plus vraiment de ces instants fourdoyants de rage ou de splendeur - ou réconfortant : car Nick Cave and the Bad Seeds "envoient la purée" ce soir. Le son est dantesque, fort pour une salle comme le Casino de Paris, principalement constitué par les deux (2 !) batteries et la basse (boostée par un énorme caisson placé dans la fosse à 50 cms de mes oreilles, mama mia !), sur lequel brodent occasionnellement les orgues grinçants et désaccordés (Cave et Harvey s'amusent comme des petits fous avec les sons affreux que Cave tire de son clavier, parfois à tord et à travers, surprenant les autres musiciens) et les guitares et violons cacochymes mais furieux.
Nick Cave est d'humeur très badine, menant un dialogue constant avec la foule - tous des fans !
quel public ! -, à l'écoute des commentaires et demandes de tous, y répondant avec son sens de l'humour froid habituel (à un spectateur qui lui demande je ne sais plus quelle chanson, il répond "qu'ils n'ont plus assez de neurones pour la jouer, celle-là" ; et quand un autre lui fait une autre proposition, il rétorque "Pour celle-là, ça va, mais on ne va pas la jouer quand même !")... La set list est à la fois structurée - en gros, la quasi intégralité de l'album "Dig Lazarus Dig" en y intercalant une poignée de classiques de l'incroyable répertoire des Bad Seeds depuis 24 ans..) et très ouverte : plus le concert avance, plus Nick Cave commence à choisir suivant son inspiration le prochain morceau, et la décision, fort peu démocratique (seuls Harvey et Ellis sont parfois consultés, d'ailleurs eux deux seuls sont sur le devant de la scène du Casino, un peu étroite pour les 7 membres du groupe), est ensuite rapidement diffusée à l'arrière de la scène : cette liberté donne des résultats surprenants - le premier rappel est quasiment entièrement consacré à des titres peu joués sur scène (deux extraits de "Your Funeral... My Trial" dont une "Hard On For Love" épileptique, et un "Far from Me" de l'époque triste de "Boatman's Call", qui constituera la seule ballade poignante de la soirée...) - mais est finalement le meilleur gage possible du fait que nous avons devant nous une troupe de musiciens qui s'amusent, et un vrai LIVE, chaotique à l'occasion (Nick Cave oublie certains passages de ses interminables textes, et se réfèrent à ses anti-sèches géantes placées sur une table devant lui), mais toujours généreux.
Les plus beaux moments de la soirée (outre "... Author") seront, pour moi, les deux passages de furie bruitiste de "Red Right Hand" et "Stagger Lee" en second rappel (je sais, je me contredis, mais c'est vrai que c'est bon de retrouver en de brefs instants la splendeur passée...), le "stomp" jouissif de "Get Ready for Love", depouillé de ses tensions gospel, et l'orage éternellement funèbre de "Tupelo". Et non, ils n'ont pas joué "The Mercy Seat", mais ce sera peut-être pour la prochaine fois, à l'Olympia, dans quelques semaines seulement...
"Nice, Dr. Cave", lance à un moment du concert un spectateur ravi, et on voit alors le grand Nick, littéralement enchanté par cette apostrophe, la reprendre de sa voix profonde de précheur illuminé, la savourer, faire rouler les mots dans sa bouche avec gourmandise. Que ce "Nice, Dr. Cave" reste donc le meilleur qualificatif pour ce beau concert, libre et violent. 50 ans, toutes ses dents ! »
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